*souffrir* la comparaison

J’étais déjà installée quand elle est entrée dans la salle. Elégante et confiante.

Je l’avais déjà croisée et remarquée, je ne savais pas qui c’était.

Elle s’est présentée et j’ai percutée. Big boss.

Je ne l’aurais pas imaginé. Sa blondeur ? Peut-être. Son sourire ? Aussi. Sa féminité ? Sans doute. Son genre ? Certainement.

Je suis victime des stéréotypes.

Mais ce qui m’a frappée, c’est sa jeunesse.

Vite vite, j’ai googlé son nom. Niveau d’étude strictement équivalent au mien, la même année.

Et nous voilà, ce jour-là, dans la même salle. Elle est cheffe. Elle est responsable d’une bonne centaine de personnes – de cadres. Sa carrière est déjà brillante. Son avenir professionnel lumineux. Pressentie aux plus hautes responsabilités.

Je n’ai aucune responsabilité d’encadrement, je ne gère pas de budget, je ne participe à aucune décision – a fortiori aucune décision stratégique.

Forcément, je me demande ce qui m’a amenée où j’en suis et elle, où elle en est.

Je me compare.

Je me dis que je suis devenue Maman et que ça a tout changé : l’ordre des priorités, le cadencement des heures, le niveau d’implication.

Voilà, c’est forcément ça.

Elle aussi a 2 enfants.

Alors non, c’est pas ça. Je pourrais me demander si je suis une meilleure mère. Mais la réponse à cette question n’existe pas, je ne le sais que trop bien.

Je remonte donc le fil de mon histoire.

Je me demande si c’est attaché à ma personne. Si jamais je n’aurais pu prétendre atteindre ces sphères. Existe-t-il un déterminisme individuel – plus que social ?

Social aussi pourtant. Elle dégage une assurance de classe que je ne saurai jamais acquérir mais je ne crois pas que cela ait pu cloisonner mon parcours dès l’origine.

J’ai réussi mes études. Serait-ce là l’erreur ? Un résultat inespéré et un parcours scolaire inattendu qui me projette dans un univers jusque-là inconnu.

C’est en partie vrai mais j’ai défendu ma place fièrement.

C’est plutôt l’arrivée dans le monde du travail qui m’a blessée. Un manager tyrannique qui sape cette maigre confiance en moi et tout s’écroule : la foi dans le travail, le brillant avenir, les projets extravagants.

Je survis. Je déteste tout.

J’ai pourtant rebattu les cartes tant de fois, changé d’emploi et d’employeur. Rien à faire. Les désillusions s’enchainent.

C’est ça sûrement qui joue contre moi plus que tout le reste : ce fond dépressif stagnant qui alourdit chaque respiration et me cloue au sol.

Est-ce que vraiment je n’y crois plus ? Est-ce que j’ai encore une chance ? Est-ce que je suis trop vieille ? Est-ce que je me suis grillée ?

Puis-je effacer ou du moins minimiser tous mes ratés ?

Est-ce que repartir sur de nouvelles bases est envisageable – matériellement, psychologiquement ?

Est-ce que j’en ai envie aussi ? Je ne suis pas sûre que cette question ait une réponse valable non plus. Comment le savoir sans le vivre ? Comment imaginer une autre vie que la sienne avec ses insignifiances, ses excès et ses paradoxes ?

Je sais seulement que je ne voudrais pas regretter. Rien regretter. Avoir eu ce champ immense de possibles déployé devant moi et lui avoir tourné le dos. N’est-ce pas une erreur fatale ?

Ou une fatalité ?

Je l’observe attentivement. Son charisme.

Elle ose les breloques et la robe rouge dans cet univers ultra masculin. Elle propose même de servir à boire. Servilité suprême d’après mon arsenal de défense antisexiste quotidien.

Elle est en face de moi maintenant. Je n’ouvre la bouche que pour y engloutir mon déjeuner. Impressionnée. Petite fille admirative et timide face à cette femme épanouie, ce double adulte.

Au détour de la conversation, elle parle de la formation qu’elle va suivre la semaine prochaine. Entre futurs dirigeants, hauts potentiels de la boite. En immersion : ateliers, présentations et exercices en équipes du petit dej au coucher. A l’étranger.

Des souvenirs me remontent. Très désagréables. Etirer les codes de l’environnement professionnel jusqu’aux limites de la nuit. Sans relâche. Théâtre de relations sociales surjouées. Mon estomac fait un quart de tour.

Elle doit partir dimanche, ça commence à 17h. Elle ne sait même pas si elle aura le temps d’aller courir. Ah oui, elle court beaucoup, elle est sportive en plus.

Et puis elle ne verra pas ses enfants. De toute la semaine.

Je calcule : dimanche, lundi… 5 jours complets, peut-être 6. Sans les entendre rire, les regarder jouer, leurs sourires et leurs cheveux emmêlés, les confier au sommeil le soir venu…

Je ne sais toujours pas ce que je veux faire de ma carcasse mais non, je ne l’envie pas.

19 commentaires sur “*souffrir* la comparaison

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  1. Je crois qu’on aura chacune notre passif, qui nous a amené la ou on es trop aujourd’hui. Les choix que l’on fait influent forcément, mais apres tout, rien ne nous dit qu’on aurait été plus heureuses autrement! Par exemple, j’étais partie pour faire archéologue, mais si j’avais continué dans cette voie, j’aurais dû quitter la région, et probablement mon chéri par la même occasion, et je n’aurais probablement pas les enfants que j’ai aujourd’hui! Ni les amis, ni les projets… alors je préfère me dire que rien n’est écrit dans la pierre. Si je veux plus un jour, je me donnerais bien les moyens d’y arriver… En attendant, j’essaie d’apprendre à me satisfaire de ce que j’ai (et puis en tant qu’instit, il vaut mieux que je me blinde vu les remarques que je me prends régulièrement dans la tronche…)

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    1. Je suis d’accord « rien n’est écrit dans la pierre » mais malheureusement, il y a des trucs pour lesquels il est trop tard… Il y a pas mal de trucs pour lesquels j’ai beaucoup de regrets et l’impression que c’est vraiment trop tard. Dans ma tête, j’ai parfois 99 ans et l’impression que je vais mourir demain 😦

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  2. et puis, parfois, quand tu ne te sens déjà pas au top, au cours d’un repas de famille, tu entends successivement : « ah, L.? Elle a une super carrière, elle ! Elle a fait la même école que toi, mais quelle évolution !  » … et un peu plus tard « K. (ndlr ma soeur !), c’est une femme au top, elle : sensible, maman de trois enfants, elle bosse, un mari super et plein aux as, vraiment, elle, elle sait comment mener sa vie »
    Là, tu respires avec le ventre … inutile de relever, ce serait mener un combat perdu d’avance ! Ce que je sais : ma vie, je l’aime, ce que j’ai, je ne le dois qu’à ma persévérance et à mon travail (pas à un mari déjà « pleine aux as » quand je l’ai rencontré), ma famille est au top, mes enfants me respectent et ne s’insultent pas (eux !-;) ) , sont ouverts et respectueux des autres. Le reste m’importe peu !

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  3. Très bien vu l’aspect théâtre, mis en scène, jouer un rôle… maintenant que tu en parles, je crois que c’est ça aussi que je ne supportais plus. En tous cas mon estomac aussi a fait un quart de tour en lisant ton billet.
    Tu ne sais peut-être pas bien qui tu es, ni quelle image tu renvoies (et tu devrais t’en ficher :D) mais au moins tu es toi-même, pas barbie chef-de-projet.

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  4. Ça me ramène 10 ans en arrière ça… j’avais presque 23ans, une licence pro en poche dans un domaine nouveau passerelle entre les statistiques, l’informatique et un peu juridique, j’y croyais vraiment. Et voulant me rapprocher de ma famille j’accepte un cdi très mal payé mais dans ma ville de naissance, avec comme projet d’acheter une maison . J’étais si heureuse quand j’ai su qu’après mon entretien j’étais en concurrence avec un camarade de promo et que du coup c’était moi qui avait été choisie.
    Et puis vient le désenchantement. Après la période de grâce qui a suivi mon embauche, les fêtes de fin d’année, de formation à la maison mère pour se mettre à jour sur les process maison, c’est devenu dingue. Ça a commencé quand j’ai su que je n’avais pas été choisie pour de bonnes raisons « tu vois les filles sont plus efficaces dans le travail que les garçons »; puis « même si t’es là depuis 8h ce matin, tu ne vas pas partir à 18h30, moi j’ai un enfant que je dois chercher chez la nounou » ; « tu connais pas ce boulot mais c’est pas grave, tu t’inspires de cet ancien dossier, et à au fait il est 19h, c’est à rendre demain matin pour les clients, je m’en vais je dois chercher mon fils » (je suis restée tard dans la nuit au boulot sans manger, tout ça pour me faire pourrir le lendemain pour 3 fautes d’orthographe) ; puis vient le « il y a encore eu un licenciement. dans cette entreprise seuls les meilleurs restent » (en me regardant avec insistance) puis il y a eu les dossiers que ma cheffe m’acusait d’avoir perdu mais que la secrétaire s’est miraculeusement rappelé d’avoir rangé plutôt que de me les avoir transmi (3fois). Puis vient les « mais ta formation n’est pas adapté à notre boulot » puis les « on t’as exclu de la formation car du dois avancer dans ton boulot »  » ça te dirais pas de telecharger le logiciel du boulot pour avancer pendant le week end? » Et la fois où j’avais prevenu que je devais impérativement partir un vendredi à 17h30 (je l’avais prevenu 2 jours avant) pour récupérer ma voiture au garage et où elle a exigé au moment de mon départ que je la regarde envoyer un mail au client avec la base que j’avais traité car « on est une équipe tu vois il faut se serrer les coudes, on s’en va pas comme ça quand ça nous chante »… et je pourrais en pondre des tartines. Ça a fini par le fait que je devais faire de la place dans mon bureau pour accueillir une stagiaire et qu’en fait j’ai reçu mon licenciement. J’étais tellement un zombie que je suis partie sans me défendre. La dernière fois que j’ai fait un malaise avec crise de panique et hyper ventilation c’est quand je l’ai croisé par hasard dans une boutique.
    Depuis je suis maman au foyer, j’ai fait une formation dans un domaine qui n’a rien à voir. Ça fait 4ans que ma vie pro est en suspend mais je m’en fiche, je n’ai plus d’ulcères. …
    (Désolée pour le pavé, mais quand j’ai lu ton article sur l’employée maman parfaite j’ai pensé forcément à mon ex-boss si parfaite, plus sportive qui se permettait de critiquer ce que je mangeais et tout le reste)
    Bref restons comme on est, tout ce paye un jour 🙂

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    1. Il y a tant de douleur dans ton message ! Tu as bien fait d’écrire un pavé, surtout si ça te soulage un peu… Le monde du travail est d’une violence inouïe, on est tellement nombreuseux à avoir des casseroles à traîner. C’est essentiel de ne plus avoir d’ulcère, c’est sûrement la preuve que tu es sur la bonne voie ❤

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  5. J’ai en effet déjà cru envier des personnes, comme ça, dans un premier temps … Vouloir lui ressembler … et puis, chemin faisant, je m’aperçois de l’envers de son décor et je n’ai plus du tout envie de m’y glisser, car au fond, j’aime être qui je suis et c’est le principal !

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  6. J’ai le même ressenti, baba d’admiration devant les femmes qui cumulent et se donnent les moyens de réussir, culpabilisant de ma médiocrité, mais pas prête à certains sacrifices comme celui de mon intimité, ma famille.

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  7. Bonsoir Euphrosyne,

    Quel joli nom…. Grâce à Bernard Arini (« Bernie » pour les intimes dont je ne fais pas partie… ;-)), je viens de découvrir cet article sur Twitter.
    Beaucoup de mamans, probablement de notre communauté de blogueuses pourront s’y reconnaître plus ou moins. Voici pourquoi j’ai mis un like.. pour faire découvrir votre blog et pour l’humour dont ne manque pas nos amies blogueuses et mooceuses comme moi.
    Même si la fin du billet est prévisible, cet humour permet le recul, la mise à distance ce qui est salutaire, d’une manière ou d’une autre.
    Belle et douce soirée, bon courage pour la soirée de maman. 🙂
    Catherine

    PS : libre à vous de venir passer la tête, la porte de mon blog « l’opticoindescurieux » (https://dmarreravecwordpress.wordpress.com/) demeure ouverte même si, comme vous, je ne suis pas dans le fast bloging, surtout actuellement…

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    1. Bienvenue dans mon petit univers ! J’en profite pour remercier chaleureusement Bernard de ses partages réguliers et de sa fidélité, je suis sûre que nombre de mes lecteurs sont arrivés ici grâce à lui !!!
      Je vais de ce pas découvrir ton blog ! et vive le slow blogging !!

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  8. Je suis assez convaincue que quand on veut vraiment quelque chose, avec tous ses inconvénients, on l’obtient. Reste que parfois les inconvénients nous freinent : on aimerait bien, mais…
    L’essentiel c’est que tu sois bien dans TA vie (et à la rigueur elle dans la sienne, mais je ne suis pas sur son blog donc on s’en fout 🙂 )
    Je comprends très bien ce que tu veux dire par « le théâtre des relations sociales sur-jouées », ça fait parti des freins qui m’empêchent d’atteindre certains objectifs aujourd’hui encore, je cherche des itinéraires bis !

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    1. Les freins sont souvent « intérieurs », entre ce qu’on peut tolérer ou non, nos propres limites et représentations. C’est un long travail de les identifier d’abord puis de les transgresser… ou de choisir de les conserver ! Je tourne autour en espérant finir par trouver mon « itinéraire bis » (j’aime beaucoup l’idée !)

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