Comme les autres…

J’ai été désirée. Enfin je crois. Enfin je sais plus.

Je crois que je l’ai été, à moment donné. Un petit troisième. Ils voulaient un garçon, forcément.

Mais j’ai tardé. Alors, quand je me suis installée, ils ne savaient déjà plus trop.

Puis les nausées orageuses. La fatigue harassante. Un bébé à 40 ans passé, Maman, tu t’es dit que c’était peut-être trop dur. Mais j’étais là et ton désir d’enfant – un peu honteux, si tard, après 2 magnifiques filles maintenant grandes – a élargi ton sourire déjà radieux.

Jusqu’à cette échographie. 12 semaines d’aménorrhée. La mesure de la clarté nucale est mauvaise. Très mauvaise.

Ton sourire s’efface. La peur de gâcher cette harmonie familiale bien ancrée a pris corps dans ce minuscule fœtus que déjà tu sentais parfois bouger.

Je sais Maman, que tu voulais du bien à mes sœurs, ne pas leur imposer un frère ou une sœur comme une charge, dont tu aurais dû t’occuper infiniment plus qu’elles. Mais moi, j’allais bien.

Qu’est-ce qu’il a foutu cet échographe de merde à te mettre un doute et une culpabilité intense au fond de l’âme ?

Après ça, je ne t’ai plus sentie. Tu ne m’accompagnais plus. Tu trouvais ça horrible d’envisager un avortement tardif mais encore plus de mettre en péril ce que tu avais mis des années à construire.

Alors ils sont venus me déranger, des dizaines de fois. Examens démultipliés. Délai d’analyses à rallonge. Examens complémentaires. Interprétations difficiles. Examens de vérification. Jusqu’au dernier moment.

Je ne te sentais pas, toi mais eux si. Trop souvent. Pourtant j’allais bien et j’ai grandi. Echographie après échographie. Dans l’extimité de cet utérus si souvent visité.

Tu as désinvesti cette grossesse et pourtant elle s’est infiniment mieux passée que les autres. Tu étais belle et épanouie, ne ressentant pas les maux qui t’avaient accablée les deux fois précédentes. Comme si le devenir Maman avait cette fois-ci été totalement extériorisé.

Si longtemps, tu as cru l’interruption possible. Tu ne savais plus quoi penser : moi j’existais tant, dans ce ventre finalement devenu proéminent, et toi tu ne me voulais plus. Tu as vécu comme si je n’étais pas là. Moi, je me sentais seule.

A force d’examens, ils ont observé ces doigts mal formés. Une si petite anomalie au regard de ce que tu avais craint. Mais tu étais partie. Trop loin pour revenir à temps. J’ai poussé malgré toi.

A presque 8 mois de grossesse, tu as dû te résigner. J’allais vivre. Alors tu t’es posée et tu m’as écoutée. J’ai enfin senti tes mains courir sur l’enveloppe de mon nid. J’ai entendu plus souvent la voix de mon Papa. Je n’ai pas senti sa chaleur mais il était là tout de même.

Tu as enfin acheté ce qu’il fallait pour m’accueillir parce que tu as espéré que je serais normale finalement. C’est ce qui t’a fait tenir ce dernier mois. L’espoir. Ce n’était pas concevable pour toi alors tu as espéré puisqu’il n’y avait plus que ça à faire.

J’ai aimé. Sentir ta présence et tes mots pour moi. La danse de tes paumes sur moi. Je serais bien restée plus longtemps. J’ai senti que tu t’attachais, ça m’a fait du bien.

Pourtant, je savais aussi que j’allais te décevoir.

Ça n’a pas loupé.

Ta première question. Oui, ma main est mal formée. Probablement moins handicapant que disgracieux mais tout de même. Je ne suis pas « normale ».

Tu as pleuré bien sûr. Tu n’as pas voulu me toucher d’abord. J’ai eu froid, j’ai eu peur, j’ai pleuré aussi. J’ai hurlé pour dire vrai.

Et puis tu as senti comme j’avais besoin de toi alors tu m’as prise. Un peu mécaniquement mais tu l’as fait.

Depuis lors, tu me regardes. Longuement. Avec une tension circonspecte dans tes gestes. Le lien va se faire. Forcément. Tu es une bonne Maman. Une excellente Maman même.

Mais j’ai besoin de toi, Maman. De ton amour, très fort. De ta confiance, inconditionnelle.

Tout le monde te dira que ce n’est pas grave. Que ça aurait pu être pire. C’est vrai et c’est faux à la fois.

C’est grave si ça l’est pour toi. C’est grave si ça met mon Papa à distance. C’est grave si tu te crois coupable de quoi que ce soit. C’est grave si ça t’empêche de m’aimer.

Regarde-moi, Maman, je suis en pleine forme. Cette infirmité donnera juste à ma vie une couleur particulière que tu m’aideras à adoucir. Là, j’ai juste besoin de tes bras, de ta chaleur, d’entendre ton cœur.

Et j’ai besoin Papa, que tu nous entoures pour nous donner cette force qui nous manque un peu au moment de se lancer dans la vie.

15 commentaires sur “Comme les autres…

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    1. Merci, c’est très encourageant parce que, pour une fois, je traite d’un sujet qui ne me touche pas au premier degré. Voir que j’arrive à faire passer les sentiments malgré tout est hyper motivant !
      En revanche, j’ai eu 3 nuits d’insomnies et un malaise profond pendant plusieurs jours… pour même pas 800 mots ! Je ne suis pas sûre d’avoir la résistance morale et physique de tenir les 100 000 mots d’un roman 😦

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  1. Fiou .. encore une jolie claque littéraire !
    Bravo, sincèrement, c’est un texte magnifique, et d’autant plus touchant que tu y fais passer une multitude d’émotions tellement poignantes !
    J’ai pu imaginer ma fille à travers ces mots – Effectivement, on se pose la question de l’état mental et physique de l’être « visible » finalement, mais celui qui est caché, qui n’a rien demandé, qui ne peut rien décider, rien dire, rien faire ? Juste subir, et attendre que l’orage passe.
    Toi qui me connait un peu, tu sais à quel point j’admire ta plume, alors je pense que tu ne m’en voudras pas de terminer mon commentaire par ce mot que j’emploi relativement souvent, mais toujours à bon escient ( à peu de choses près ..).
    Je te l’offre parce que finalement, je n’ai pas d’autre mot pour exprimer cette fameuse gifle brutale et franche que tu viens de me mettre en me détournant le regard de ce foutu nombril que j’ai tant regardé.
    BORDEL ❤

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