La sensibilité du sicaire

L’écho du grincement de la porte rebondit sur les meubles dodus, les bibelots colorés, les tapis épais et les cadres par milliers.

Alex observa quelques instants Ma en train de fleurir son capharnaüm, fredonnant l’ouverture 1812 de Tchaïkovsky (sa vénération pour ce compositeur dépassait l’entendement) : ses gestes ralentis par la sécheresse de l’été qui n’en finissait pas, le cliquetis des heures inexorables, la peine des êtres chers perdus il y a longtemps, le manque d’amour et de compagnie, la vieillesse. Une vie entière s’étalait là, dans cet amoncellement de tristesse poussiéreuse, dans l’effort payé à chaque souffle, dans la musique qui berçait ses mouvements las.

Le reflet du visage de Ma (un miroir fissuré encadré par un portrait de clown et un paysage de montagne) percuta la rétine d’Alex et une larme coula sur sa joue.

Le mandataire connaissait-il le lien si fort qui les unissait ?

Trop tard. Il tira une balle dans la nuque de la vieille. Son salaire parait les mouchoirs et les remords.


des mots une histoire olivia billingtonC’est ma participation au rendez-vous de Olivia Billington : Des mots, une histoire : une sélection de mots (en gras) à recaser dans un texte de fiction.

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A l’heure bleue

Le vent souffle fort : le moulin ne faiblit pas. Le meunier sifflote, sa mélodie emportée par le brouhaha et l’odeur de la farine. Il songe à fuir avec elle…

La récolte a été bonne et il aurait pu se régaler de cerises juteuses. Il faudra pourtant regagner le gîte et faire honneur au couvert : l’éternel fricot ! Un bec salé ne se décrète pas ! Il aurait pu même être abstème s’il avait réussi à négocier des fruits à tous les repas…

Mais maman mésange ne cédera pas : un ver de terre à chaque repas fera un oiseau fort et gras !


des mots une histoire olivia billingtonPour ma participation de cette semaine à l’atelier d’Olivia Billington : « des mots, une histoire« , j’ai joué avec un sens du mot « meunier » que j’ai découvert à cette occasion.

ORNITH. Nom usuel de la mésange bleue.

J’ai découvert aussi les mots fricot (une viande grossièrement cuisinée) et abstème (qui ne boit pas de vin).

 

Survivante

Alors que le berlingot marmoréen fondait sur sa langue, un souvenir la fit frissonner : les visites chez ce médecin taciturne en blouse blanche, son enfance, la douce main rassurante de sa mère, la douleur aiguë de la piqûre…

Aujourd’hui, les virus désactivés se suçotaient lentement avant de retrouver les bras de Morphée – pour garantir l’immunité du lendemain – et la vie de bohème dont elle rêvait à 10 ans n’était plus une utopie mais une question de survie.

Inès souffla la bougie et s’emmitoufla dans son sac de couchage. Le murmure de la rivière se fit oppressant dans l’obscurité. Elle craignait de ne pas entendre d’éventuels maraudeurs. Il ne lui restait plus que quatorze berlingots. Elle ne pouvait pas courir le risque de se les faire voler. Plus que deux semaines avant qu’une aube vernale ne la tire des périls de l’hiver. Deux semaines encore et elle pourrait espérer résister une année supplémentaire.

Il faudrait encore se procurer des vaccins avant l’automne suivant mais c’était encore loin… Elle aurait tout l’été pour préparer une excursion vers la Ville engorgée d’êtres encore humains mais en loques, leurs visages creusés par les aspérités d’une existence saturée de dangers, prêts à tuer pour ces cachets.

Elle enfoui sa tête entière à l’intérieur du sac de couchage comme pour se couper du monde et de ces innombrables pensées qui à nouveau la tiendraient éloignée du sommeil. Il faisait si froid et elle avait tant besoin de repos… A quoi tenait qu’elle parvenait à s’accrocher si fort à la vie ?

 


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Quelques minutes de répit

Justine posa discrètement la main sur son ventre. Ça tirait encore sur la cicatrice de la césarienne. Elle prit une profonde inspiration pour laisser passer la gêne, releva le menton pour laisser le soleil inonder son visage et ferma les yeux. Les paroles de ses collègues flottaient autour d’elle comme des papillons transparents. Ces minutes étaient précieuses.

Malgré le plaisir que lui procurait inévitablement cette causette au soleil, elle pensait toujours à ce qu’elle aurait pu faire de sa pause méridienne : du plus efficace – traiter ses mails, du plus léger – fignoler son dernier billet de blog, du plus sain – une séance de yoga ou un footing… Non, elle ne faisait plus rien de tout ça !

La douleur dans le bas ventre lui rappelait ses contraintes et ses engagements : rentrer pour 18h, cuisiner quelque chose d’équilibré et Lire la suite « Quelques minutes de répit »

Inconfort

Il se présenta à 16 heures aux urgences pour priapisme.

Regard en coin de l’infirmière…

« Je-je suis innocent !… J’ai bien cédé à une douceur, tenta-t-il. Mais ce n’était qu’une meringue à l’écorce d’orange.

– Mauvaise idée ! Les fruits sont défendus.

– Et l’armoise ? On m’a dit…

– Non plus. Je peux seulement vous proposer une décharge… d’électricité.

– Euh ?!? Je préférerais la potence… »

Deux heures plus tard, de retour dans l’ambulance, la conversation lui revint en mémoire… et le priapisme avec.

« Et puis merde ! »


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Ce qu’elle a dans le ventre

Quarante huit jours. Et autant de nuits. Entre les médicaments et les larmes, il lui fallait tenir le compte sur un carnet. Noter chaque étape de ce parcours au fond d’elle-même.

Elle écrivait ses sentiments, ses émotions, ses hallucinations, ses tremblements et ses joies hystériques. Deux cycles qu’elle n’observait qu’elle-même : ses choix, ses envies, ses ratés, les embûches et les succès.

Dans un jour ou deux, Yannick viendrait lever les scellés, lui rendre les clefs et l’autoriser à sortir. Elle lui avait fait promettre d’attendre, malgré ses cris, ses protestations, ses lamentations. Ne la libérer qu’à la fin des deux cycles. La laisser toute entière au silence et à la solitude pour cheminer vers ce qu’elle avait de plus sincère en elle.

C’était Angèle qui lui avait fourni les drogues : des accélérateurs d’introspection, des catalyseurs de sensations. Et puis, le geste était devenu mécanique : recueillir les 2 gélules au creux de sa main et les porter à sa bouche, un grand verre d’eau. A chaque fois que la réalité semblait à nouveau percer les brumes de sa conscience.

Pour les heures qui lui restaient à tenir, elle se répéta la citation de cette sorte de chaman sud-américain qui l’avait initiée au parcours : « En toi est la lumière ». Elle l’avait marouflée sur une toile en face de son canapé, pour la répéter encore et encore, à chaque vague de lucidité.

La gentillesse de cette homme l’avait portée suite au deuil et elle avait voué une totale confiance en son rituel de régénération pour tourner la page de cette épreuve indicible.

***

Yannick avait marqué d’une croix au feutre rouge le calendrier cartonné accroché à la porte de sa cuisine : le 5 février, il devait aller libérer Anaïs. Il était inquiet. Bien sûr, cette femme était bizarre, complètement barrée auraient affirmés d’anciennes connaissances. Mais la tristesse qui l’avait envahie suite à la disparition légitimait maintenant toutes ses fantaisies, ses délires ou même ses folies.

C’était une créative, une artiste, une illuminée et ce chaman l’avait soutenue comme aucun de ses amis n’avaient été capable de le faire. Mais ce rituel avait tout du sordide suicide organisé.

Pendant ces presque deux mois, il n’avait cessé de penser qu’il n’aurait pas dû accepter. Il s’était mille fois vu se précipiter chez elle et faire céder la porte : la trouver encore en vie peut-être, si faible. Il voyait son corps flotter dans des rêves poisseux, éviscéré sans doute, gisant au milieu de son appartement dévasté, les murs badigeonnés de coups de pinceau ensanglantés.

Il fit le tour du pâté de maison pour se donner du courage. Il s’attendait au pire, bien sûr, se demandant comment il avait pu en arriver à faire un truc aussi stupide. Ses genoux lui paraissaient grippés en gravissant les escaliers. Il se surprit même à humer l’air à la recherche d’une odeur de décomposition.

Le cliquetis de la serrure lui fit accélérer le cœur. Les yeux clos, il laissa la porte couiner comme dans un mauvais film d’horreur. Mais le soleil baignait un appartement impeccable où flottait une douce odeur de lavande.

Anaïs se jeta dans ses bras pour une étreinte puissante. Sa préférence était allée à la vie.

***

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