Quarante huit jours. Et autant de nuits. Entre les médicaments et les larmes, il lui fallait tenir le compte sur un carnet. Noter chaque étape de ce parcours au fond d’elle-même.
Elle écrivait ses sentiments, ses émotions, ses hallucinations, ses tremblements et ses joies hystériques. Deux cycles qu’elle n’observait qu’elle-même : ses choix, ses envies, ses ratés, les embûches et les succès.
Dans un jour ou deux, Yannick viendrait lever les scellés, lui rendre les clefs et l’autoriser à sortir. Elle lui avait fait promettre d’attendre, malgré ses cris, ses protestations, ses lamentations. Ne la libérer qu’à la fin des deux cycles. La laisser toute entière au silence et à la solitude pour cheminer vers ce qu’elle avait de plus sincère en elle.
C’était Angèle qui lui avait fourni les drogues : des accélérateurs d’introspection, des catalyseurs de sensations. Et puis, le geste était devenu mécanique : recueillir les 2 gélules au creux de sa main et les porter à sa bouche, un grand verre d’eau. A chaque fois que la réalité semblait à nouveau percer les brumes de sa conscience.
Pour les heures qui lui restaient à tenir, elle se répéta la citation de cette sorte de chaman sud-américain qui l’avait initiée au parcours : « En toi est la lumière ». Elle l’avait marouflée sur une toile en face de son canapé, pour la répéter encore et encore, à chaque vague de lucidité.
La gentillesse de cette homme l’avait portée suite au deuil et elle avait voué une totale confiance en son rituel de régénération pour tourner la page de cette épreuve indicible.
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Yannick avait marqué d’une croix au feutre rouge le calendrier cartonné accroché à la porte de sa cuisine : le 5 février, il devait aller libérer Anaïs. Il était inquiet. Bien sûr, cette femme était bizarre, complètement barrée auraient affirmés d’anciennes connaissances. Mais la tristesse qui l’avait envahie suite à la disparition légitimait maintenant toutes ses fantaisies, ses délires ou même ses folies.
C’était une créative, une artiste, une illuminée et ce chaman l’avait soutenue comme aucun de ses amis n’avaient été capable de le faire. Mais ce rituel avait tout du sordide suicide organisé.
Pendant ces presque deux mois, il n’avait cessé de penser qu’il n’aurait pas dû accepter. Il s’était mille fois vu se précipiter chez elle et faire céder la porte : la trouver encore en vie peut-être, si faible. Il voyait son corps flotter dans des rêves poisseux, éviscéré sans doute, gisant au milieu de son appartement dévasté, les murs badigeonnés de coups de pinceau ensanglantés.
Il fit le tour du pâté de maison pour se donner du courage. Il s’attendait au pire, bien sûr, se demandant comment il avait pu en arriver à faire un truc aussi stupide. Ses genoux lui paraissaient grippés en gravissant les escaliers. Il se surprit même à humer l’air à la recherche d’une odeur de décomposition.
Le cliquetis de la serrure lui fit accélérer le cœur. Les yeux clos, il laissa la porte couiner comme dans un mauvais film d’horreur. Mais le soleil baignait un appartement impeccable où flottait une douce odeur de lavande.
Anaïs se jeta dans ses bras pour une étreinte puissante. Sa préférence était allée à la vie.
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C’est ma première participation au rendez-vous de Olivia Billington : Des mots, une histoire. (Cliquez sur le logo pour en savoir plus 😉