La débâcle

Il a dit non.

Et j’attendais un oui. J’étais sûre qu’il dirait oui.

J’avais imaginé qu’il dirait oui.

Alors je plonge de l’Everest jusque dans la fosse des Mariannes.

Et ce versant de mon âme qui s’était mis à voir la vie en rose bonbon (volonté, ambition, complétude) a explosé en plusieurs milliards de minuscules éclats lumineux. Emportant leur énergie au loin. Libérant soudain ce monstre de noirceur qui m’habite. Redoutable aimant vers le néant : l’eau noire s’étend sous le pont, glacée, animée d’un courant fort et inexorable. Le poids dans mon dos m’offre en plus une certitude.

Je m’abîme dans le songe de cet impact libératoire, du poids mort attiré vers

le fond et du corps rejeté sur la grève.

Le mot *FIN* écrit en gras.

Mais je lève les yeux encore une dernière fois et les lumières tremblantes de la ville m’éblouissent, comme si elles venaient juste de s’allumer toutes d’un coup. Vacillantes autant que pénétrantes dans la pénombre.

Je me sens si seule et pourtant je ne le suis manifestement pas. Ils m’attendent à la maison, les indéfectibles. Ignorant de l’angoisse qui me vrille. De la trahison à laquelle je suis prête en cet instant transi.

Je pense à eux, me remplis de leurs images, leurs sourires, leurs mots tendres, leur vulnérabilité, leur constance. Toutes ces forces convergentes. Je m’emplie de long terme et de constructions solides.

Moi qui me suis crue un instant capable de braver seule toutes les tempêtes, je reprends mon souffle dans cette promesse de sécurité.

Malgré tout, j’échoue à chasser les doutes et la peur. Les regrets aussi associés à ce choix : la famille, les ancrages, les contraintes et la culpabilité. Le sentiment que, quel que soit l’option, je ne suis pas complétement loyale.

C’est comme ça.

Je détourne les yeux des remous ténébreux sous mes pieds et sèche mes larmes. Il faudra bien faire avec.

*

Je vis tout avec intensité. Le bonheur. La déprime.

Je suis entière et exaltée. Peu disposée aux compromis. J’ai l’imagination fertile et je n’apprécie pas que la suite ne colle pas avec celle que j’ai mille fois anticipé.

De toute façon, je ne sais pas faire les choses à moitié. Et s’il faut embrasser Judas autant bien le faire : version double vie plutôt qu’occasions d’un soir. Alors être avec lui, c’est maintenant tout le temps tout de suite exclusivement et totalement. Et, après tout, pourquoi pas ?

Je suis une petite enfant frustrée qui trépigne de ne pas posséder tous les jouets du Père Noël. Les contingences et obligations m’entravent, m’étouffent, me tuent.

Je suis dans l’excès à l’inverse aussi. Dire « stop », c’est interrompre tout, faire taire brutalement les regrets et la peur. Enfermer toutes les autres perspectives dans le carcan de mon estomac brûlant.

Alors que faire ? Comment se laisser porter ? Changer radicalement son mode de fonctionnement ? Là, immédiatement. Pour ne rien perdre de cette fenêtre qui a laissé entrer un bol d’air immense et inattendu.

Profiter de cette anecdote exige d’être strictement dans l’instant, le plaisir de l’être et l’abandon du contrôle. Jouir du possible et se moquer des complications. Vivre les choses sans intention et éviter méthodiquement les interprétations.

Regarder le diable dans les yeux et lui dire merde.

13 commentaires sur “La débâcle

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