Avorter et tourner la page

Je dors mal depuis quelques semaines. Je comprends maintenant pourquoi.

Cette nuit-là a été agitée, mais pas plus que les autres finalement.

Et au réveil, mauvaise surprise : MiniJoie a l’œil rouge et gonflé… Il va falloir caser un rendez-vous chez le pédiatre ! Encore un mercredi reposant qui s’annonce ^^

Papaidi garde les enfants pendant que je me rends à l’adresse conseillée par le planning familial la veille.

Je découvre sur la plaque qu’il s’agit d’une généraliste (sa remplaçante en fait). Je m’attendais à une gynécologue. Encore un préjugé (et j’avais mal lu le document, c’était pourtant écrit…)

Un quart d’heure d’attente.

Elle est calme et posée, me rappelle toutes les informations que je dois légalement

connaitre avant de faire la paperasse.

Le stérilet est encore en place ? Cela ne change pas grand chose. Juste qu’il faut le retirer : avant la première prise ? en même temps ? Elle hésite à démarrer l’IVG aujourd’hui.

Et puis elle se lance, ce sera fait ! On passe 20 bonnes minutes à remplir des documents, je signe sans trop lire. J’ai déjà reçu tant d’informations depuis hier, je crois que mon cerveau ne peut plus rien absorber…

Position gynécologique. Elle fait les vérifications requises et me retire mon DIU. Je n’ai rien senti. Je me dis que tout de même, cette action risque de provoquer l’expulsion…

Avant de quitter le cabinet, j’avale les premiers cachets, ceux destinés à interrompre la grossesse. Elle me confie les comprimés pour l’expulsion et me détaille le protocole heure par heure, les signes à surveiller en cas de complication, le suivi post-IVG.

La suite se passera chez moi et je n’aurai pas besoin de revenir la voir avant la visite de contrôle dans 3 semaines. Elle est très rassurante sur les douleurs, les pertes de sang, le risque hémorragique…

Rien de pire qu’une fausse couche précoce, et ça, c’est déjà fait ^^

Elle me conseille presque de prévoir une journée normale le vendredi : aller au boulot ? J’ai envie de me laisser tenter mais je suis un peu inquiète tout de même. Je demande si je peux avoir un arrêt de travail. Elle le remplit sans rechigner et me suggère d’attendre le vendredi pour me décider ou non à le poser.

Je ne sais pas comment interpréter ça : je n’aime pas demander les arrêts de travail, j’ai l’impression que cela remet en doute ma « maladie » et me relègue au rang de « chochotte »…

Après coup, je ne regrette pas du tout de l’avoir posé et je ne m’imagine que difficilement avoir tenté une journée de travail « normale » avec ce que j’ai vécu. Rien que le fait de perdre beaucoup de sang et de tâcher les toilettes à chaque passage voire son pantalon…

Est-ce une sorte de « progagande » de la part de la médecin ? Du genre : « Mais nooooon, Madame, c’est riiiiiieeeen, un IVG ! »

Ou bien est-ce parce qu’ils sont contrôlés (particulièrement peut-être pour ceux qui pratiquent volontiers les IVG ?) et qu’ils ne doivent pas les proposer (versus répondre à une demande) ?

Je l’ignore mais heureusement que mes copinettes, très présentes sur les réseaux sociaux pendant ces quelques jours [merci, ô mille mercis, d’avoir rompu l’isolement et le silence !] m’ont encouragées à le poser…

Je sors donc 1 heure plus tard avec mon dossier sous le bras. A partir de là, j’ai eu l’impression de vivre une longue attente (surtout comparé à la journée intensissime de la veille…)

Passage à la pharmacie puis la longue attente jusqu’au soir de me retrouver seule avec mes sensations, un moment pour m’écouter plutôt que d’écouter les enfants…

La journée se déroule somme toute comme un mercredi normal : je n’ai pas mal au ventre, juste des nausées – de plus en plus vives néanmoins.

Je crois que mon corps a compris dans le même temps qu’il était fécondé et dépossédé de son fruit, ça fait un peu l’effet d’un grand 8 ^^

J’ai aussi pas mal gonflé. En quelques heures, je n’ai plus réussi à rentrer dans aucun pantalon…

Bizarre bizarre, la mémoire du corps !

J’ai tenu mon jeudi au bureau tant bien que mal. C’était long.

Cette semaine est à rayer du calendrier d’un point de vue pro : horaires minuscules et concentration à moins l’infini… Difficile à justifier : « Non mais tu vois, je me fais avorter cette semaine… alors le dossier machin, tu sais… je m’en tamponne le coquillard ! »

La nuit suivante est difficile : mon utérus commence à contracter et je me mets à saigner, copieusement. Sommeil léger. Je suis tout de même inquiète par rapport à ce qui m’attend.

Vendredi, je prends les premiers médocs dès le réveil : anti-vomitif + anti-douleur. Les enfants seront gardés par leur nounou, comme d’habitude. Sauf qu’ils vont dans l’appartement de l’autre famille et comme c’est plutôt rare, c’est la fête 🙂

Finalement, je n’ai rien dit à MiniJoie, je me demande si j’ai bien fait. D’une manière générale, j’essaie de parler de tout mais elle n’a montré aucun signe de perturbation (bon sommeil, bon appétit, joie de vivre habituelle…) et n’a posé aucune question troublante.

Je suis pour une communication parent-enfant transparente mais je n’ai vraiment pas vu pourquoi plomber l’ambiance…

Première prise de Cytotec après leur départ. Papaidi reste un peu à mes côtés. Il a choisi pour moi un jeu sur tablette, hyper addictif comme je les aime et il est tombé dans le mille : j’y ai joué pendant 4 heures ce jour-là !!! Au moins, pendant ce temps, hyper concentrée, lobotomisée presque, je n’ai rien senti ni même vu le temps passer ^^

Mon réveil sonne pour la seconde prise.

Je me sens un peu vaseuse (mais c’est peut-être seulement l’opium des anti-douleurs ^^). Les saignements continuent sur un rythme soutenu. Je dors un peu et j’aurais préféré dormir tout l’après-midi…

Quand la douleur redescend doucement je reprends quelques activités dans l’appartement. Je me remets en route progressivement avec une tisane fumante et quelques biscuits.

Lorsque les enfants rentrent, j’ai vraiment l’impression que c’est terminé.

Voilà, je me sens un peu allégée.

Après coup, je réalise que à aucun moment, personne ne m’a parlé tranquillement de mon *choix*.

Il y a la team bienveillante (la conseillère du planning, ma SF, la médecin) qui respecte ma conviction et ne pose pas de question. Et la malveillante – ou que je perçois comme telle – qui tend des perches et instille la mauvaise conscience.

Là, je me pose : si l’une des personnes de la #teambienveillante m’avait interrogée, ne l’aurais-je pas classée dans la #teammalveillante ? Peut-être que c’est la délicatesse du sujet qui fait que justement la #teambienveillante s’abstient.

Peut-être n’y a-t-il pas de bonne façon de poser cette question ? Elle est peut-être de ces intrusions qui ne sont pas franchissables…

N’empêche, j’aurais bien aimé un échange du type :

  • Alors, vous avez pris votre décision ? Ce n’est pas facile…
  • Pas du tout. D’autant que moi, j’en voudrais un troisième et pas mon mari. Alors je me dis que je laisse peut-être passer là ma chance… Mais c’est pas possible, je suis trop fatiguée. Ça fait 2 ans que je n’ai pas dormi.
  • Oh la, 2 ans ? c’est dur. C’est votre petit dernier ?
  • Oui, il a une intolérance au PLV, mal au ventre, sommeil irrégulier, toussa toussa.
  • Vous n’avez personne pour vous aider ? Les grands-parents ?
  • Non, personne. Ils vivent loin et ne sont pas aidants du tout. On se sent seuls.
  • Vous devez être exténuée.
  • Oui, voilà.

Larmes.

Un échange serein. Pas pour me justifier mais pour verbaliser, parler de cette décision que je prends à la lumière de l’évidence mais à contrecœur quand même.

En parler pour retirer un peu de cette culpabilité de refuser ce bébé qu’on pourrait matériellement accueillir, de cette culpabilité de n’être pas une mère parfaite, prête à faire face à toutes les difficultés, à toute l’accumulation de fatigue nerveuse et physique, capable d’assurer le bonheur et l’épanouissement d’une grande famille sans fléchir…

J’ai tout de même recueilli au planning familial quelques mots de soutien précieux et l’assurance que, biologiquement l’IVG ne m’empêcherait pas de concevoir un troisième enfant (oui, je porte tout un tas de superstitions populaires) mais que pour l’enthousiasme du mari, elle n’y pouvait rien ^^

Depuis cette épreuve, mon sommeil est moins agité et je me sens apaisée.

Je n’ai jamais douté que mon choix était le bon. J’ai juste l’impression que non, je n’aurai pas de petit troisième et que finalement, c’est bien aussi.

Voilà, je vais bien. Merci.


 

Je termine ici le récit de cette expérience. Au vu des retours sur le premier épisode – et des nombreux remerciements, ça a été difficile mais je suis contente de l’avoir fait.

Pour autant, je ne suis pas sûre que je me serais risquée à aborder le sujet dans une conversation IRL : je ne suis pas militante et dans la vraie vie, je suis lâche.

Mais ce blog, c’est moi. Mon vrai moi, celui à l’intérieur qui tranche, ose, affirme, s’oppose, se dévoile.

Et puis, à quoi bon se composer un profil anonyme pour ériger à nouveau les faux semblants qui président à ma survie en société ?

Alors juste un dernier mot pour vous remercier de me lire, de me commenter et de m’accompagner dans tous ces moments-là ❤

 


 

 

21 commentaires sur “Avorter et tourner la page

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  1. Bonjour Euphrosyne,
    Tu as écrit ce qui c’était passé. Je me demande où tu en es aujourd’hui. Est-ce que cette IVG a été physiquement douloureuse ? Comment te sens-tu aujourd’hui ? Soulagée ? Douloureuse en pensant à ce petit qui n’est plus ? Ton regard a-t-il changé sur tes enfants, ton mari, toi-même ? Vers quelle contraception vas-tu te tourner maintenant ?
    J’ai d’autres questions encore… je ne sais pas ce que tu es prête à partager ici, par e-mail, avec moi ?
    Je t’envoie plein de bises réconfortantes.
    J’espère que tu vas bien.
    Céline.

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    1. Tu l’as senti, Céline. Je ne vais pas bien. Je suis encore dans l’action (les emmerdes) alors le moral tient tant bien que mal. Je raconterai tout ça en temps utile si le besoin est là. Pour le moment, je passe quelques jours de vacances en famille. J’essaie de profiter (en mode Instagram) du mieux possible en faisant taire cette petite voix obsédante…

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  2. C’est « marrant » moi à l’inverse la docteur voulait que je confie Lucie à quelqu’un pour que je sois sans charge de la journée (sauf que bon c’est pas possible en pratique donc je l’ai gardé).
    Au final j’ai expulsé avant même de prendre les deuxièmes médicaments et j’ai trop peu saigné, donc j’ai géré la journée avec la louloute toute seule sans problème.
    Elle m’avait vraiment fait flipper quand elle m’a dit « si vous changez plus de 5 fois de serviettes en 1h allez à l’hôpital ». Là tu te dis « 5 fois c’est normal ?????? ».

    En tout cas c’est chouette que tu es eu le soutien de ton mari comme ça, qu’il ait été aux petits oignons, ici il était plus mitigé sur la décision de l’avortement, il m’a laissé choisir mais je saurais pas dire s’il était plus pour ou contre. Et j’ai eu beaucoup de problème pour trouver quelqu’un pour me faire une injection de Rhophylac (je suis rhésus négatif et mon mari positif, cela peut créer des complications) dans les délais. J’ai d’ailleurs expulser l’oeuf en revenant d’une longue marche à pieds avec la petite pour trouver une infirmière qui veuille bien m’injecter la seringue.

    Dans mes démarches pour trouver en urgence les bons interlocuteurs j’avais appelé le planning familial et la femme avait été à l’écoute et sans juger. J’ai eu l’échange dont tu parles avec elle mais on sait que c’est surtout soi-même que l’on essaye de convaincre. J’aurai aimé plutôt rencontré des femmes comme nous qui sont passés par là et qui peuvent raconter leur vécu, l’après, etc. Savoir que cela n’empêche pas d’autres grossesses derrière, que ça n’est pas une tare.

    Ceux qui disent que l’avortement est un moyen de contraception, ils ont pas essayé d’avorter.

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    1. C’est exactement pour ça que j’ai écrit ces billets : parce que j’aurais aimé lire les témoignages de femmes qui traversaient exactement les mêmes doutes ! Je dis tout ici pour celles qui viendront après (ou celles qui n’ont pas réussi à échanger sur ce sujet intime…) et qui auront un peu moins l’impression d’avancer à l’aveuglette, j’espère.
      Et tu as raison de le rappeler : ce n’est pas une partie de plaisir, loin de là…

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  3. C’est délicat, c’est peut être culotté sous cet article, mais j’ose : texte émouvant et sublimement bien écrit. J’aime. Pas le contenu, évidemment, quoiqu’il soit légitime et approprié, vu la situation décrite et l’humeur de ton foyer, j’aime la femme que je découvre un peu plus à chaque billet.
    Il aura fallu cette épreuve pour te découvrir dans ce registre, est en cela, ce n’est pas forcément et nécessairement négatif ..

    Etre simplement là, présente, active et réactive, voilà ce que je peux faire à mon niveau.
    Je te souhaite du courage pour la suite, pour passer le cap de cette épreuve compliquée et compliquante.

    Et pour tomber quelques secondes dans le clichés, « girl power » & autres raisonnements cataloguasses de torchons féminins, assumes tes choix de vie, ils t’ont été imposés, tu dois faire avec.
    Ne t’arrête pas au piapiapia des autres, nul ne peut mieux décider ce qui est bon, sain pour toi, hormis toi ❤

    il parait que, l'Enfer, c'est les autres T'façon .. 😉

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  4. Je ne sais pas vraiment quoi dire (alors je me tais), simplement je voulais te déposer ici un bon gros bécot. J’espère qu’écrire ces mots t’aura fait un peu de bien…

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  5. Tu sais, des fois il y des gens qui ne posent pas de question parce qu’ils savent déjà, parce qu’ils ont connu, parce qu’ils savent que les questions peuvent être mal interprétées…
    Merci pour ton témoignage. Prends bien soin de toi, je te fais un groooos câlin de soutien.

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  6. Je ne sais pas si on t’en a parlé au planning familial, mais tu as la possibilité de pouvoir bénéficier d’un accompagnement psychologique. dans l’hôpital où je travaille, nous le proposons et notamment pour les « déjà-mamans » qui doivent passer par cette douloureuse étape, notamment pour envisager une éventuelle future grossesse désirée par la suite … car ce n’est pas simple dans ces cas là, psychologiquement parlant j’entends.
    Je te remercie pour ce témoignage qui a du te demander énormément de courage, mais tu l’as fait pour une bonne cause je trouve.

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    1. J’espère que mon témoignage sera un soutien pour d’autres femmes dans le même cas et ça justifie l’énergie qu’il m’a fallu pour cliquer sur « publier » !
      Merci de me rappeler l’existence de cet accompagnement psychologique, j’avais un peu zappé mais ce sera peut-être nécessaire…

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  7. Mille mercis pour ces mots!
    Je crois que c’était ce que j’avais besoin de lire ces temps-ci, et grâce à toi je me sens moins seule. J’ai du me résoudre à l’IVG également l’été dernier exactement dans le même contexte que toi. Aujourd’hui le plus difficile finalement c’est effectivement de se dire que je suis probablement passée à côté de l’occasion d’avoir un troisième enfant, et de faire le deuil de ce désir très fort tout en pensant sincèrement que « finalement c’est bien aussi », je pense que pour moi le chemin sera long.
    Encore merci pour tes mots authentiques et bravo pour ton courage de t’exposer ainsi.
    Marie.

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    1. Je ne sais pas si c’est vraiment du courage, sachant que j’écris sous anonymat et que très peu de personnes de mon entourage « réel » lisent mon blog. N’empêche, je sais que ça me soulage énormément de savoir que d’autres personnes ont traversé les mêmes épreuves que moi alors l’utilité de les partager me semble aussi évidente ! Merci pour ton commentaire et bon courage pour la suite du chemin qui est somme toute un véritable deuil…

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